Bertrand Dumazy, président directeur général d’Edenred : « Nous sommes à l’affût d’opportunités de croissance externe »
Cette ancienne filiale d’Accor devenue un acteur mondial de solutions de paiement pour le monde du travail a fait preuve d’une remarquable résilience pendant la crise sanitaire. Au point de délivrer des performances historiques sur le dernier exercice. Son patron nous livre les secrets de cette réussite et nous fait part de sa confiance dans les perspectives moyen terme de cette très belle entreprise.
Quel regard portez-vous sur les comptes annuels d’Edenred ?
Bertrand Dumazy : L’année 2021 a été historique pour Edenred. Avec des progressions de notre chiffre d’affaires et de notre EBITDA de respectivement 14% et 18% à périmètre comparable, nous avons enregistré en 2021 une croissance record qui a porté nos résultats à de nouveaux sommets. Ces performances sont le fruit de notre innovation continue, de la pertinence de nos solutions, de la force de notre modèle économique, mais surtout des efforts de nos 10 000 collaborateurs dans le monde qui agissent quotidiennement au service de nos 900 000 clients, 2 millions de commerçants et 50 millions d’utilisateurs. Leur agilité nous permet de constamment enrichir l’offre de notre plateforme digitale. Leur talent marketing et commercial nous permet de remporter de nouveaux clients et de croître plus vite que les marchés sur lesquels nous opérons. Au-delà des niveaux records de tous nos indicateurs financiers (chiffre d’affaires, EBITDA, résultat net, génération de trésorerie), notre performance extra-financière a également été un succès.
Dans quelles mesures le groupe a-t-il été encore pénalisé par la crise sanitaire ?
B. D : En 2020, Edenred avait su se montrer particulièrement résilient dans un contexte où l’arrêt brutal de l’économie avait naturellement pesé sur notre activité (baisse de seulement 1,6% de notre revenu à périmètre comparable). En 2021, les résultats records d’Edenred prouvent que nous avons fait plus qu’effacer l’impact de la crise Covid alors même que la situation sanitaire était encore complexe, notamment en Amérique latine. Cette résilience illustre la solidité de notre modèle : par exemple, grâce à la digitalisation de nos solutions, nous sommes capables de continuer à servir nos clients même si ceux-ci opèrent en télétravail. De plus, si le ralentissement économique pèse sur certaines de nos activités, la crise sanitaire a aussi accentué des tendances structurelles favorables à Edenred, qu’il s’agisse de la généralisation du télétravail ou de la recherche de comportements plus responsables. Par ailleurs, malgré les records établis en 2021, Edenred n’est pas encore à son plein potentiel.
Comment évaluez-vous la situation en Amérique du sud, un marché important pour Edenred ?
B. D : En 2020, l’Amérique latine a été touchée par la crise sanitaire plus tardivement que ne l’a été l’Europe. En revanche, en 2021, nos activités en Amérique latine ont opéré un rebond significatif avec une croissance de 18% en données comparables par rapport à 2020. Quant à ce début d’année 2022, les premiers signaux sont encourageants.
Quelle est la finalité de votre stratégie de diversification dans les relais de croissance que sont les solutions de mobilité professionnelle et le paiement inter-entreprises ?
B. D : Parce qu’elles reposent sur notre capacité à proposer des solutions de paiement à usage spécifique, ces deux activités s’intègrent parfaitement à notre périmètre : elles simplifient la vie des utilisateurs et sécurisent les paiements pour les entreprises. Nos solutions de mobilité professionnelle représentent un moteur puissant de notre croissance en Europe comme en Amérique latine. Aujourd’hui, nous offrons notamment une gamme de service « Beyond fuel », qui propose aux gestionnaires de flottes automobiles une offre intégrée pour piloter et gérer des services de télépéage, de parking, de maintenance, de remboursement de la TVA ou de recharge pour les véhicules électriques. L’acquisition en février 2022 de Greenpass, acteur brésilien sur le marché du télépéage, illustre notre ambition sur cette branche d’activité. Quant au marché américain des paiements interentreprises, il s’agit également d’un marché dynamique, en croissance. Nous y sommes entrés via l’acquisition de CSI en 2018, ce qui nous a permis d’enrichir notre plateforme technologique de paiement digital sécurisé, et d’offrir à nos clients une solution de simplification de leur processus de paiement. En effet, aux Etats-Unis, nombre de sociétés ont recours à des processus manuels de paiement par chèque et de rapprochement des factures à la fois coûteux, consommateurs de temps et sources d’erreur ou de fraude.
Cherchez-vous à monter en puissance sur d’autres segments de marché ?
B. D : Notre stratégie consiste d’abord à enrichir notre offre. Par exemple, dans le domaine des avantages aux salariés, plus de 25% de notre activité est aujourd’hui liée à des avantages autres que le Ticket Restaurant. Il s’agit de services digitaux comme les plateformes d’engagement des salariés, les cartes cadeaux, ou notre solution « télétravail », permettant aux utilisateurs d’équiper leur domicile avec du mobilier de bureau. Via notre plateforme unique, nous permettons ainsi à nos utilisateurs un accès simplifié aux différents programmes d’avantages.
Existe-t-il une forte concurrence sur le marché du paiement au monde de l’entreprise ?
B. D : Tout d’abord, Edenred opère sur des marchés plus spécifiques que celui du paiement. Si le service que nous proposons inclut un moment de paiement, la valeur ajoutée de nos solutions repose sur les règles qui définissent ce moment de paiement. Que ces règles obéissent à des contraintes réglementaires ou des demandes propres à chacun de nos clients, qu’elles concernent l’objet du paiement, les marchands ou les sites chez qui ces paiements peuvent être effectués, les montants qui peuvent être dépensés, les régions, les jours ou les heures où cela est possible. Nous ne sommes donc pas directement en concurrence avec des acteurs du monde du paiement.
En revanche, sur nos marchés, nous faisons face à différents types de concurrents selon les segments et les régions où nous opérons. Dans le domaine des avantages aux salariés, nous sommes le leader mondial, avec à la fois des concurrents globaux tels que Sodexo et Up et une multitude d’acteurs locaux généralement présents dans un seul pays. Dans le domaine de la mobilité professionnelle, nous sommes numéro un en Amérique latine et numéro quatre en Europe avec des concurrents mondiaux tels que Fleetcor et Wex et des concurrents plus spécifiques en Europe notamment.
Le groupe est présent en Europe et en Amérique du sud mais ni aux Etats-Unis et ni en Asie. Est-ce un choix ?
B. D : Notre ambition est d’être présents avec des solutions pertinentes dans les régions qui offrent du potentiel. Bien que largement sous-pénétré, le marché des avantages aux salariés – et celui des titres repas en particulier – s’est développé en Europe et en Amérique latine, et offre un potentiel de croissance important. Cela explique notre présence dans ces deux régions, qui représentent près de 92% de notre activité.
Ceci ne nous a pas empêché de développer une présence aux Etats-Unis avec l’acquisition de CSI mais aussi le développement d’une offre « Commuter Benefits », qui permet aux employeurs américains de financer des solutions de transport écologiques pour leurs employés. Nous proposons également notre solution Ticket Restaurant sur ce marché américain, où nous avons signé des clients iconiques, comme Spotify. Nous sommes également présents au Moyen-Orient et en Asie. Aux Emirats arabes unis, par exemple, nous proposons une solution pour favoriser l’inclusion financière. Celle-ci permet à des salariés sous-bancarisés de percevoir leur salaire sur un compte plutôt qu’en espèces. Autre exemple, nous proposons à Taiwan une offre d’allocations de primes aux employés 100% dématérialisées, utilisables chez des partenaires dûment sélectionnés.
Diriez-vous que l’avantage d’Edenred repose sur la performance de sa plateforme numérique ? Quelle est la part du digital dans vos solutions ? Est-ce un levier d’amélioration de la rentabilité du groupe ?
B. D : Aujourd’hui, toutes les solutions que nous proposons sont digitales. Et la part de notre volume d’émission digitalisé est passée de 70 à 90% au cours des 5 dernières années.
En effet, nous avons fait le choix, il y a quelques années de disrupter notre modèle et de passer à des solutions 100% digitales. Edenred s’est depuis imposé comme le pionnier de l’innovation sur ses marchés. Cette révolution copernicienne nous a permis d’entrer de plein pied dans l’ère du paiement mobile, des connexions app-to-app, pour offrir à nos utilisateurs la meilleure expérience possible. Nous veillons à proposer à nos utilisateurs des services flexibles comme la possibilité de commander des repas sur nos 200 plateformes de livraison partenaires. Notre plateforme digitale nous permet également de proposer à nos clients comme à nos partenaires une gestion plus simple, plus efficace et plus sécurisée des avantages alloués aux salariés, ou de leurs coûts associés aux flottes de véhicules.
Cette plateforme est à la fois un levier commercial, un levier technologique, un levier opérationnel et un levier financier qui nous permet d’améliorer notre profitabilité. Afin de la renforcer et de la faire évoluer, nos investissements technologiques représentent actuellement plus de 300 millions d’euros par an et vont continuer à croître.
Le groupe est-il à l’affût d’opportunités de croissance externe ?
B. D : En 2021, notre génération de trésorerie record nous a permis de réduire de près de 300 millions d’euros notre endettement net, à 816 millions d’euros, soit 1,2 fois l’EBITDA contre un ratio de 1,9 fois l’an dernier. Cette situation financière solide nous donne les moyens de réaliser des acquisitions pour renforcer notre leadership. Nous venons par exemple de prendre une participation majoritaire dans Greenpass, un émetteur de solutions de télépéage pour renforcer notre offre « Beyond fuel » au Brésil. Sachant que nous disposons d’une capacité d’investissement de plus de 1,5 milliard d’euros, nous sommes à l’affût d’opportunités que nous ne manquerons pas de saisir tout en appliquant une stricte discipline financière.
Comment abordez-vous l’année et quelles sont vos perspectives à moyen terme ?
B. D : Nous sommes confiants pour 2022 et pour les années à venir. Preuve en est, notre objectif de recruter près de 2 000 personnes à travers le monde en 2022.
Edenred possède de nombreux atouts pour profiter de l’accélération des grandes mutations qui sont à l’œuvre dans le monde du travail comme la généralisation du télétravail, la recherche de comportements plus responsables ou la digitalisation des processus administratifs des entreprises. Le contexte inflationniste nous est également favorable, que cela se traduise par l’augmentation de la valeur faciale des avantages alloués aux salariés, l’augmentation du prix du carburant, l’augmentation des volumes de paiements interentreprises ou l’augmentation des taux d’intérêt.
Edenred est donc en ordre de marche pour poursuivre sa trajectoire de croissance vertueuse, à la fois profitable et durable. Nous confirmons ainsi pour 2022 les objectifs annuels que nous avions définis dans le cadre de notre plan stratégique « Next Frontier », à savoir :
– Une croissance organique de notre chiffre d’affaires opérationnel d’au moins 8%
– Une croissance organique de notre EBITDA d’au moins 10%
– Et un taux de conversion Free cash-flow sur EBITDA d’au moins 65%
Rappelez-nous la politique de distribution du groupe ?
B. D : Notre politique de distribution consiste à augmenter le montant du dividende par action chaque année. Compte tenu de nos bons résultats et de notre confiance en l’avenir, nous allons proposer à l’Assemblée générale un dividende en hausse de 20% à 90 centimes d’euros par action. Cela nous permet de reprendre la trajectoire d’augmentation progressive du montant du dividende là où nous l’avions laissée avant la crise avec un dividende de 86 centimes d’euros versé en 2019 au titre de 2018.
Quelle est votre stratégie RSE ?
B. D : Notre politique RSE, mise en place dès 2017 et baptisée « Ideal », vise à améliorer la qualité de vie, préserver l’environnement et créer de la valeur de manière éthique et responsable. Elle s’articule autour de trois volets « People, Planet, Progress », et est suivie via 10 indicateurs, pour lesquels nous avons des objectifs ambitieux à horizon 2022 et 2030. Par exemple, alors que le taux de féminisation du management était de 21% en 2017, il a atteint 34% aujourd’hui avec l’objectif d’être à 40% en 2030. Cette politique nous permet de contribuer à 12 des 17 Objectifs du Développement Durable des Nations-Unies.
Gage du sérieux de notre engagement dans cette démarche, les plans d’attribution gratuite d’actions intègrent à hauteur de 25% la réalisation d’objectifs correspondant à certains de ces critères extra-financiers.
En cohérence avec cet engagement, Edenred a adopté l’an dernier sa raison d’être : « Enrich connections. For good. ».
Par ailleurs, notre engagement RSE est au cœur de nos solutions. Celles-ci sont vectrices de comportements plus responsables. Ainsi, par exemple, nous proposons des solutions facilitant la mobilité douce des salariés, des programmes de compensation de CO2 pour les détenteurs de cartes carburant en Amérique latine, des programmes dédiés à la consommation de produits éco-responsables en Belgique, des programmes d’argent fléché favorisant l’accès aux services financiers au Moyen-Orient ou l’accès à des subventions agricoles en Afrique.
Comment expliquez-vous la chute de l’action depuis fin octobre ?
B. D : Nous n’avons pas pour habitude de commenter le cours de bourse. Nous nous fixons des objectifs ambitieux et tâchons de mettre en œuvre les moyens pour les atteindre. Fin octobre 2021, Edenred a relevé ses perspectives, en faisant part de sa confiance à générer un EBITDA 2021 dans la moitié haute de la fourchette initialement communiquée. Les résultats que nous venons d’annoncer sont historiques et en ligne avec nos perspectives. Nous savons que les marchés financiers y seront sensibles.
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