David Bourg, directeur financier de JCDecaux : « Nous percevons une inflexion de tendance en Chine depuis le mois de mars »
Largement pénalisé pendant la crise sanitaire, ce leader mondial de la communication extérieure se redresse, malgré le blocage en Chine, un de ses plus gros marchés. Son directeur financier, David Bourg, fait le point sur l’exercice écoulé et sur les atouts dont dispose JCDecaux sur le moyen terme.
Quel regard portez-vous sur les comptes annuels de JCDecaux ?
David Bourg : La performance réalisée l’an dernier traduit la poursuite du rebond engagé par JCDecaux depuis la levée des confinements un peu partout dans le monde avec une croissance à deux chiffres dans toutes nos zones géographiques à l’exception de la Chine. Compte tenu du contexte géopolitique et économique difficile et pénalisé par une forte inflation, nous enregistrons de bons résultats avec une forte croissance organique de 16,6% de notre chiffre d’affaires ajusté à 3,31 milliards d’euros avec un fort levier sur notre profitabilité. La marge opérationnelle ajustée de 602,9 millions d’euros a ainsi connu une progression de 42,8% plus de deux fois supérieure à celle des revenus et notre résultat net est redevenu positif à 132,1 millions d’euros. Sans la Chine, la dynamique du chiffre d’affaires organique est encore plus forte (+24,1%). Ce qui donne une idée de notre potentiel lorsque la deuxième puissance mondiale va pleinement redémarrer. Enfin, le groupe a maintenu une génération de flux nets de trésorerie ajustée positive de 43,2 millions d’euros. Sa baisse sensible par rapport à 2021 traduit la priorité donnée à l’investissement qui supporte en partie le paiement pour 85 millions d’euros de droits publicitaires attachés au renouvellement et à l’extension de la concession pour une durée de 15 ans du métro de Shanghai, le plus grand métro du monde.
Dans quelle mesure la politique zéro covid en Chine a-t-elle handicapé le groupe ?
D. B : La Chine était le premier contributeur au chiffre d’affaires de JCDecaux avant le covid. Nos revenus en Chine ont chuté de l’ordre de 40% à 50% entre 2019 et 2022. Essentiellement positionné (à 90%) sur les transports (métros et aéroports), notre groupe de communication extérieure a logiquement subi les baisses de trafic des passagers liées aux confinements des populations. Ainsi par exemple, l’aéroport de Hong Kong, qui accueillait 80 millions de passagers avant la pandémie, a vu sa fréquentation chuter à près de 6 millions en 2022. Même constat pour le métro de Shanghai avec un nombre de passagers quotidiens passé de 13 à 14 millions à moins de 2 millions en plein cœur de la crise. La bonne nouvelle est de voir cette fréquentation remonter aujourd’hui à 12 millions de personnes par jour avec la réouverture du pays. Mais cette inflexion de tendance est observée seulement depuis la fin du mois de février et le début du mois de mars 2023. Raison pour laquelle le groupe prévoit une croissance de son chiffre d’affaires organique ajusté autour de 2,5% au premier trimestre 2023 car nos revenus en Chine sur le début de l’année étaient encore en repli.
Percevez-vous l’inflation et comment le groupe y fait face ?
D. B : Comme toutes les entreprises, l’inflation nous concerne. Le premier poste sont les charges de personnel, mais qui restent toujours inférieures à la période pré-covid, même si nous accompagnons la reprise par le recrutement de nouveaux talents et l’inflation par des mesures salariales. Le groupe a la chance de disposer d’équipes impliquées avec en moyenne une ancienneté de plus de 10 ans qui comprennent les dynamiques qui se sont jouées depuis la pandémie. Le climat social est donc apaisé et le dialogue est mené en bonne intelligence. Deuxième poste, notre consommation énergétique est assez faible (5% de notre base de coûts) et fait l’objet depuis de nombreuses années de contrats de couverture sur des durées de 2 à 4 ans. Enfin, les frais généraux sont également sujets à l’inflation mais des mesures d’optimisation sont régulièrement déployées en vue d’abaisser notre point mort. Dernier poste, environ 20% des redevances versées à nos concédants sont indexées sur l’évolution des prix mais pour certaines avec des caps.
Le digital constitue-t-il un levier de différenciation et de rentabilité pour JCDecaux ?
D. B : Le digital est sans aucun doute un levier de différenciation. Cet avantage concurrentiel s’appuie à la fois sur l’expertise et les capacités financières de JCDecaux, qui lui permettent de déployer des produits de qualité et d’offrir aux annonceurs les meilleurs emplacements. Le partage du temps d’exposition entre annonceurs, permis par le digital, est un atout qui augmente notre capacité de chiffre d’affaires. Au plan commercial, le digital et la vente en programmatique permettent de proposer des solutions affinitaires en temps réels et contextualisées. C’est un levier pour capter de nouveaux clients, notamment ceux qui sont familiers de la publicité en ligne. Nous partageons également le temps d’exposition de ces mobiliers digitaux avec les municipalités qui peuvent ainsi assurer leur propre communication institutionnelle. Sur le plan financier, le digital est un moyen de mieux monétiser nos emplacements et de générer du chiffre d’affaires additionnel sur une base de coûts essentiellement fixe, ce qui profite à nos marges. L’an dernier, nos revenus digitaux ont connu une croissance organique de 35,1% et ont représenté 31,4% de notre chiffre d’affaires global. Depuis 2017, le groupe a développé une plateforme programmatique qui est devenue extrêmement performante en peu de temps. Elle permet à nos annonceurs de mieux cibler leur message grâce à une vente à l’audience, enrichie par la data, et son potentiel est considérable au regard d’un marché mondial de la publicité programmatique estimé à 200 milliards de dollars. Cette plateforme a généré l’an dernier 60 millions d’euros de revenus (contre 30 millions d’euros en 2021 et 5 millions d’euros en 2020), soit 5,9% de notre chiffre d’affaires digital, et l’objectif est d’atteindre le seuil des 100 millions d’euros cette année, avec un potentiel à 2025 pour le DOOH programmatique de représenter entre 20% et 30% du chiffre d’affaires digital dont plus de 50% de revenus incrémentaux. Le levier est donc considérable.
En France, certains maires de ville importantes s’opposent de plus en plus aux panneaux d’affichage grand format. Est-ce un sujet d’inquiétude ? Observez-vous le même phénomène dans d’autres pays ?
D. B : Quelques villes en France se posent la question de la place de la publicité grand format, notamment dans les entrées d’agglomération. C’est sujet qui mérite d’être relativisé dans la mesure où il ne concerne que quelques villes avec lesquelles nous sommes en contrat, dont Grenoble ou Nantes, sur plus de 1000 municipalités où JCDecaux est présent. . A Grenoble, le mobilier serviciel a été réintroduit. Il ne faut pas oublier que les municipalités en tirent une source de revenus et un support pour leur communication institutionnelle. A Nantes, l’affichage grand format a été réduit dans le cadre du futur Règlement Métropolitain de publicité, mais cela ne représente que 9% de nos équipements et nous maintenons une offre de solutions très qualitatives pour nos annonceurs. La réglementation est nécessaire et nous avons toujours été favorables à une approche qualitative de la communication extérieure dans l’espace public. Ces débats ne se posent pas dans les pays anglo-saxons dans l’ensemble très favorables à la communication extérieure et au digital d’ailleurs.
Comment le groupe gère-t-il la consommation énergétique de son mobilier urbain ?
D. B : JCDecaux travaille depuis longtemps à la sobriété énergétique de ses équipements dotés d’éclairage Led, ou de solutions de modulation d’intensité lumineuse permettant la réduction de près de 70% de la consommation électrique d’un mobilier 2m2. Des détecteurs de lumière sont présents sur nos abribus et on déploie également des éclairages intelligents. Nous n’avons pas attendu la règlementation visant à éteindre l’éclairage sur le mobilier pendant la nuit pour le faire en France où nous le faisons déjà depuis 2012, ainsi que dans d’autres pays d’Europe.
Quels sont les principaux contrats remportés l’an dernier ? 2023 va-t-elle être une année riche au plan commercial ?
D. B : Le renouvellement de la concession pour une durée de 15 ans du métro de Shanghai a déjà été évoqué mais c’est vrai que le dernier millésime s’est révélé un très bon cru en matière commerciale avec le gain de plusieurs contrats à des conditions financières intéressantes comme les métros de Sao Paolo et de Salvador de Bahia qui drainent une forte influence avec 7 millions de passagers. Notre joint-venture avec ADP sur les aéroports de Paris a été reconduite également. Notre concession publicitaire a été aussi renouvelée avec aéroport de Bangalore ainsi que de nombreux contrats en en mobilier urbain en Europe mais également en Asie et en Amérique Latine. De plus en plus, les appels d’offres comportent une dimension extra-financière ce qui est une bonne chose car nous avons un véritable avantage compétitif dans ce domaine grâce à notre stratégie ambitieuse en matière ESG (environnement, société et gouvernance), mais encore trop insuffisamment notamment dans les critères d’adjudication.
Quels sont les pays ou les zones géographiques sur lesquels le groupe souhaite se renforcer ?
D. B : Aujourd’hui, le groupe est présent dans plus de 80 pays et se montre satisfait de sa couverture internationale avec une position optimisée dans les régions à fort potentiel. Nous sommes sortis de certains pays comme la Russie dès mi-2020, l’Algérie ou l’Argentine. Notre objectif vise à accompagner nos annonceurs mais pas à n’importe quel prix.
L’amélioration de la visibilité va-t-elle inciter JCDecaux à relancer une stratégie de croissance externe opportuniste ? Sur quel segment (transport, mobilier urbain, affichage) ?
D. B : Nous n’avons jamais cessé d’être opportuniste pendant la crise sanitaire. Raison pour laquelle nous attachons une importance toute particulière à la solidité de notre structure financière pour garder une flexibilité. En avril 2020 par exemple, nous n’avons pas hésité à prendre une participation minoritaire au capital du leader chinois des abribus, ClearMedia, en consortium avec Alibaba et le fondateur, à racheter fin 2020 Abriservices, le numéro un du mobilier urbain pour tout l’ouest de la France. Plus récemment, en juillet 2022, Displayce, 1ère plateforme Demand-Side française spécialisée dans le DOOH qui est venue compléter notre éco-système digital et nous avons racheté des partenaires, comme Interstate à Chicago.
Quelles sont vos perspectives pour cette année ? A plus long terme ?
D. B : Depuis 2009, le groupe ne donne plus de tendances à moyen terme. Nous préférons nous limiter à une période trimestrielle pour avancer des objectifs. Raison pour laquelle, nous tablons sur une croissance organique autour 2,5% du chiffre d’affaires ajusté sur les trois premiers mois de l’exercice 2023, incluant une baisse à deux chiffres du chiffre d’affaires en Chine où nous commençons cependant à observer un point d’inflexion à partir du mois de mars avec un retour à la normale de la mobilité.
Pourquoi avoir supprimé le dividende ?
D. B : La dernière fois que JCDecaux avait abandonné sa politique de distribution, c’était en 2008 dans le contexte de crise financière et pour une période de trois ans. A l’époque, notre chiffre d’affaires avait baissé de 11% sur le seul exercice 2008. En 2020, le groupe a vu ses revenus amputés de 40% et n’a pas encore retrouvé ses niveaux pré-covid. Notre approche vise à donner la priorité à notre transformation digitale et à investir pour sortir plus fort de cette crise. Elle est partagée par notre principal actionnaire, la famille Decaux, qui détient 66,6% du capital, afin de garder notre force de frappe et capacité à investir pour la croissance future durable et profitable.
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