Christian Cassayre, directeur financier du groupe Eiffage : « Les Etats doivent respecter leur signature »
Le titre de cet acteur européen des travaux et des concessions n’a toujours pas dépassé ses records pré-covid malgré une excellente visibilité sur les perspectives et des niveaux de valorisation décotés. Le directeur financier Christian Cassayre livre son analyse sur la qualité des comptes du premier semestre et confirme sa confiance dans les fondamentaux du groupe.
Quel regard portez-vous sur les comptes du premier semestre du Groupe ?
Christian Cassayre : Le Groupe a produit une performance très solide dans l’ensemble avec toujours une belle dynamique dans les travaux soutenue par les segments de marché en lien avec la transition énergétique et la mobilité durable ainsi que par l’activité hors de France notamment en Allemagne. Nos résultats semestriels en hausse de 9,1 % pour le résultat opérationnel courant, et de 10,7 % pour le résultat net part du Groupe, ont augmenté dans les mêmes proportions que l’activité (+ 10,4 %). Et nos marges travaux sont en hausse sensible. A noter également la génération d’un cash-flow libre significatif de 276 millions d’euros malgré un effet de saisonnalité lié à une activité plus faible au premier semestre dans les travaux. L’immobilier résidentiel neuf est en baisse comme pour l’ensemble des acteurs du marché mais la tendance est largement compensée par l’excellente orientation des autres activités travaux du Groupe. Notamment, la branche Construction reste en croissance grâce à la rénovation de bâtiments et les équipements publics et industriels. La branche Énergies Systèmes est portée par les énergies renouvelables, la réalisation de datacenters… avec une croissance de 15,4 % dont près de 5 % d’apport de la croissance externe. La construction métallique bénéficie de l’essor de l’éolien offshore avec un chiffre d’affaires en hausse d’environ 45 %. Enfin, les activités de génie civil se portent également bien, tirées par la mobilité durable avec les gros chantiers conduits pour le Grand Paris Express ou la ligne ferroviaire HS2 en Grande-Bretagne et le projet du Lyon-Turin.
L’inflation reste-elle un handicap et les clauses d’indexation prévues dans les contrats suffisent-elles à la répercuter ?
C. C : Dans le public en France, la hausse des prix est répercutée automatiquement sur le donneur d’ordre. Ce n’était cependant pas le cas dans les autres pays européens avant le Covid. Désormais, le système des clauses d’indexation s’est généralisé chez nos voisins dans le secteur public. Dans le privé, nos clients ont bien intégré la problématique d’inflation et acceptent sa prise en compte dans les clauses contractuelles. Nous restons toujours vigilants en revanche sur la gestion de nos approvisionnements pour optimiser les coûts de matières en vue d’être le plus compétitif possible.
Le trafic dans les concessions a-t-il rattrapé son niveau pré-covid ?
C. C : C’est le cas depuis l’an dernier pour les concessions autoroutières. Sur APRR, le trafic a progressé de 3 % au premier semestre mais a connu une moindre croissance sur la période estivale. Son évolution dépend en général du prix des carburants pour ce qui concerne les véhicules légers et de la trajectoire du PIB pour les poids lourds. Sur les autres actifs en concession, le stade de Lille devrait profiter de deux événements majeurs avec la coupe du monde de Rugby à l’automne et les Jeux de Paris l’an prochain. Les plateformes aéroportuaires de Toulouse et Lille, avec respectivement une hausse du trafic de 16 % et 10,7 % sur le premier semestre, n’ont pas encore atteint leur niveau d’avant-Covid. Elles subissent les changements d’habitude des professionnels en matière de voyages d’affaires avec davantage d’échanges à distance mais aussi probablement pour des motifs économiques et de réduction des émissions de CO2. En revanche, la clientèle loisirs est bien là. L’écart par rapport au trafic pré-covid sur ces deux aéroports pourrait être rattrapé à l’horizon 2025.
Les concessions peuvent-elles encore échapper au projet de taxe du gouvernement ? Quel serait l’impact pour Eiffage propriétaire de nombreuses infrastructures (autoroutes, stades, aéroports) ?
C.C : Nous n’en savons rien dans la mesure où nous n’avons pas connaissance du projet de texte et qu’il n’y a, à l’heure actuelle, aucun échange entre le gouvernement et les sociétés concessionnaires. Il est donc trop tôt pour réagir sur l’annonce de cette taxe et sa recevabilité. En revanche, nous contestons avec la plus grande fermeté la notion de sur-rentabilité des concessions et le rapport établi par l’ART va en ce sens.
Le métier de concessions est une activité à très long terme qui requiert de la visibilité. Notre Groupe fait le choix de ne développer des concessions que dans les zones où nous sommes déjà présents avec notre activité travaux, et de fait employeur dans les territoires, avec une responsabilité sociétale qui permet d’établir un lien de confiance dans la durée avec les gouvernements. C’est dans ce cadre qu’il est possible d’investir en concessions sur des durées longues de 50 ans ou plus. Les Etats doivent par conséquent respecter leur signature pour donner confiance aux investisseurs financiers ou industriels, nationaux ou internationaux à l’heure où les besoins de financement de la transition écologique sont colossaux. Tout changement de régulation ou de régime fiscal en cours de route ne va pas dans le bon sens. C’est regrettable.
Quelles seront les conséquences de l’arrivée à échéance de la concession APRR ?
C. C : Nous anticipons cette échéance par une plus grande diversification du portefeuille de concessions du Groupe qui va croissant. Aujourd’hui, avec 2 400 kilomètres de réseau, APRR assure une grande partie du résultat net du pôle des concessions, nos autres concessions étant relativement jeunes. Plusieurs leviers existent pour à terme compenser la fin de nos concessions APRR et AREA en 2035 et 2036. D’abord, la montée en puissance progressive des cinq autres concessions autoroutières (Viaduc de Millau, A65, A79, A41 Nord, Autoroute de l’Avenir au Sénégal) plus récentes et donc moins rentables actuellement mais qui le deviendront avec le temps. Leurs échéances sont très longues, jusqu’en 2079 pour la plus longue. Deuxième levier, les aéroports régionaux de Toulouse et Lille qui pourraient être rejoints par d’autres plateformes situées dans notre zone géographique qu’est l’Europe. Troisième brique, notre participation de 18,8 % au capital de Getlink, concession très longue également, à échéance 2086. Et nous nous intéressons à d’autres actifs comme les réseaux de rail concédés (le chantier de ligne à grande vitesse BPL) ou encore les ports de plaisance. Enfin, les énergies renouvelables sont également un domaine sur lequel le Groupe souhaite être présent. Sun’R, un développeur de photovoltaïque et d’agrivoltaïsme acquis fin 2022, produit déjà 100 mégawatts. L’ambition est d’atteindre 500 mégawatts à l’horizon 2025-2026. Ponctuellement, le retour dans le domaine public de la concession APRR en 2035 occasionnera une baisse des résultats mais celle-ci sera donc en partie compensée par le développement du portefeuille.
Un renforcement au tour de table de Getlink est-il envisageable ?
C. C : La stratégie du Groupe est d’être un actionnaire industriel de référence de la concession transmanche, aux côtés d’autres actionnaires financiers. Nous souhaitons partager notre valeur ajoutée industrielle dans les métiers du rail. L’idée est de rester minoritaire pour assurer une bonne diversité de notre portefeuille de concessions, sans concentration sur cet actif.
Dans quelle mesure le Groupe est-il pénalisé par la remontée des taux d’intérêt ?
C. C : La hausse des taux d’intérêt renchérit indéniablement le coût de toute nouvelle concession. Il faut donc utiliser d’autres paramètres économiques (tarifs, durée, subvention…) pour conserver un niveau de rentabilité acceptable. Sur le stock de dettes existant, l’effet sera progressif au fur et à mesure des refinancements des emprunts existants à taux fixe. La part de dettes à taux variable est limitée (1 milliard chez Eiffarie -la holding d’APRR- et environ 500 millions sur la concession du Viaduc de Millau pour les plus importants). Et d’une manière générale, les revalorisations des tarifs de péage indexées sur 70 % de l’inflation permettent d’amortir l’augmentation du coût de la dette en période d’inflation.
Livrez-vous des perspectives pour cette année ? A plus long terme ?
C.C : Nous sommes très confiants sur nos perspectives en raison d’une visibilité excellente dans les travaux grâce à un carnet de commandes de 19,8 milliards, en hausse de 10 %, et à notre positionnement sur les thématiques en forte croissance de la transition énergétique et de la mobilité durable. Plus de 2 milliards de contrats signés et pluriannuels ne sont pas encore intégrés à ce carnet pour des raisons de normes comptables. Il s’agit du contrat de concessions de logements pour le ministère des Armées avec son volet travaux, des travaux du tunnel ferroviaire Lyon-Turin ainsi que du marché d’éclairage public pour la Ville de Paris. Plusieurs contrats significatifs auxquels nous avons candidaté devraient être attribués d’ici la fin de l’année. Nous avons par ailleurs une excellente visibilité grâce à notre portefeuille de concessions. Nos résultats continueront donc de progresser.
Nous réinvestissons notre génération de trésorerie en priorité dans le développement du pôle des concessions et en croissance externe principalement dans la branche Énergies Systèmes pour compléter notre savoir-faire et notre maillage géographique. Quatre acquisitions ont ainsi déjà été bouclées au premier semestre dans les énergies systèmes avec le rachat de VSK, Lafosse, Pulsar Consulting et Safety Service.
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