Bruno Paillard, président directeur général de Lanson-BCC : « Nos résultats resteront de qualité »
Le patron de ce groupe de maisons de champagnes nous expliques les enjeux auxquels est confronté le secteur ainsi que sa stratégie de valorisation qui permet de défendre les marges.
La lettre de la bourse : Quelles sont les grandes tendances du marché du Champagne à quelques semaines de la fin de l’année ?
Bruno Paillard : Sur les dix premiers mois de 2023, les expéditions de champagne ont reculé de 8,6% à 229 millions de bouteilles. Comme dans le secteur des spiritueux, notre profession est confrontée à des stocks importants dans un bon nombre de pays étrangers. Aux Etats-Unis, le marché est par exemple en repli de 22% sur 12 mois glissants à fin octobre et la France est à moins 20%. Nous payons la bonne santé du marché en 2022 qui a incité les distributeurs à commander beaucoup ainsi que les problèmes logistiques ayant entraîné des livraisons avec retard en 2023, si bien que nous avons débuté l’année avec des stocks élevés sur les marchés. Parallèlement, nous observons une légère dé-consommation qui est probablement liée à la hausse des taux d’intérêts. Dans beaucoup de pays, les particuliers sont en effet endettés à taux variables et subissent de plein fouet la hausse des conditions de crédit. Ils consomment logiquement moins. Pour que le marché reparte de l’avant, il faudrait donc que les stocks diminuent, ce que nous attendons pour le premier semestre 2024, et que les taux rebaissent.
La lettre de la bourse : comment évoluent les prix d’achat du raisin et vos coûts en général ?
B.P. : Le leader du secteur ayant provoqué des hausses de prix du raisin de 10% l’an dernier et de 7% cette année, nous avons dû nous aligner sur ces conditions. Par ailleurs, nous subissons encore l’augmentation du prix des matières sèches et des salaires qui progressent au minimum de 5,7% dans la profession.
La lettre de la bourse : parvenez-vous à répercuter ces hausses ?
B.P. : Nos résultats semestriels ont montré que nous avons pu compenser les baisses de volumes par une stratégie de valorisation et de création de valeur par bouteille. L’effet cumulé de l’amélioration du mix produit et des hausses de prix dépasse 10% cette année. Notre pricing power se renforce et tous les investissements réalisés ces dernières années y contribuent.
La lettre de la bourse : dans quelles mesures êtes-vous impactés par la remontée des taux d’intérêts ?
B.P. : en l’espace de trois ans, nos frais financiers vont être multipliés par quatre et passer de 5 millions à 20 millions d’euros. Les crédits de vieillissement qui financent nos stocks sont en effet renouvelés par tiers tous les trois ans. Ils sont établis sur la base de l’euribor avec une marge de 0,5% à 0,7% et nous sommes donc logiquement impactés par la remontée de l’euribor. Nous n’avons cependant aucun souci de renouvellement de ces crédits avec nos partenaires bancaires, avec lesquels nous n’avons d’ailleurs pas conclu de covenants, mais nous allons continuer d’augmenter nos prix de l’ordre de 7% l’an prochain, pour préserver nos marges.
La lettre de la bourse : comment évoluent vos positions à l’international ?
B.P. : Aux Etats-Unis, nous avons fait le choix de passer par un importateur national depuis trois ans et sommes confrontés à des stocks encore importants, contrairement au Royaume-Uni où les surplus de stocks semblent avoir été résorbés. Comme l’an dernier, l’international devrait représenter un peu moins de 60% de nos ventes en 2023.
La lettre de la bourse : comment envisagez-vous l’ensemble de l’année 2023 et 2024 ?
B.P. : Je pense qu’en 2023, la profession fera près de 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires avec environ 300 millions de bouteilles, ce qui équivaudrait à un recul de l’ordre de 10% en volume et de 2% à 3% en valeur. Nous devrions faire de notre côté un peu mieux que le marché en valeur. Nos résultats ne pourront certes pas progresser cette année dans cet environnement complexe, mais ils resteront de qualité ce qui ne sera pas forcément le cas de tous les acteurs. Pour 2024, nous pouvons espérer que l’inflation va poursuivre sa décrue et favoriser une baisse des taux d’intérêt susceptible de relancer la consommation.
La lettre de la bourse : avez-vous connaissance d’acteurs en difficulté dans votre secteur et pourriez-vous participer au mouvement de concentration ?
B.P. : Pas pour le moment. Les bilans de l’année 2022 de la profession étaient encore solides. Il faudra attendre le premier semestre 2024 et même 2025 pour voir l’impact de la hausse des taux et saisir éventuellement des opportunités. Notez que les dernières pertites opérations réalisées sur le marché ont montré des multiples de valorisation importants à plus de 20 fois les résultats et à plus de 2 fois les capitaux propres, alors que notre valorisation boursière est très inférieure à nos fonds propres. Notre priorité pour le moment est de conserver une bonne santé financière et une rentabilité sur capitaux employés satisfaisante.
La lettre de la bourse : pouvez-vous rappeler quelle est la politique de distribution du groupe ?
B.P. : Au cours des dernières années, nous avons donné la priorité au remboursement de la dette senior liée à l’acquisition de Lanson et au rachat de certains actionnaires minoritaires. Ces opérations sont désormais terminées et nous avons désormais moins besoin de restreindre notre politique de distribution. Passer d’un taux de distribution de 20% à 25% ne serait pas choquant, mais nous devons conserver un matelas important pour financer nos stocks. Notez que notre dividende a déjà commencé à augmenter puisqu’il a atteint 1 euros au titre de l’exercice 2022 contre 0,50 à euro avant la crise sanitaire.
La lettre de la bourse : quelles sont les dernières évolutions dans le tour de table du groupe et comment jugez-vous le cours de bourse ?
B.P. : La société FIAG a récemment reclassé sa participation de 5% dans le capital de Lanson-BCC en deux étapes. Une large partie a été reprise par les familles et le solde en autocontrôle. Dans ces conditions, le contrôle familial se renforce avec une participation d’environ 90,8% du capital. Le flottant s’en trouve réduit mais au regard de notre capitalisation boursière très inférieure à nos fonds propres de plus de 300 millions d’euros, il nous est paru plus opportun d’acheter des titres que d’en vendre. La bourse nous déçoit un peu car elle raisonne à court terme alors que nous travaillons sur le long terme, voire en termes de génération, en achetant le raisin le plus cher du monde et en le finançant pendant plusieurs années pour vendre ensuite nos bouteilles à un prix moyen élevé dans un contexte économique que nous ne maitrisons pas. Notre groupe a malgré tout démontré sa capacité à délivrer au fil des ans des performances très satisfaisantes, quelle que soit la conjoncture.
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