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Alexandre Baradez, responsable de l’analyse marché chez IG France

Le responsable de l’analyse marché chez IG France relativise pour le moment l’impact du risque politique en France et s’attend à un assouplissement des politiques monétaires en zone euro et aux Etats-Unis. il met en garde contre la cherté des valeurs américaines.

Quelles sont les conséquences de la crise politique en France pour la bourse de Paris ?

Alexandre Baradez : A ce stade, le stress politique s’est soldé par une baisse de 6 à 7% du CAC40. Avant la dissolution de l’Assemblée nationale, le spread OAT-Bund évoluait légèrement sous 50 points de base, il s’est tendu jusqu’à 85 points de base juste avant le premier tour pour évoluer désormais à 65 points de base. Ce n’est donc pas la sérénité mais pas la panique non plus, on parlerait de panique si cet écart de taux dépassait les 100 points de base. Lors de la crise de la dette par exemple, le spread OAT-Bund avait atteint plus de 190 points de base ! En ce qui concerne l’euro par rapport au dollar les effets de cette phase politique ont été relativement négligeables jusqu’à présent.

Une attaque sur la dette française vous parait-elle possible ?

A.B. : Ce n’est clairement pas le scénario le plus probable mais avec un ratio dette/PIB qui a dépassé les 110% post-Covid et avec un déficit public de 5.5% en 2023, la marge de manœuvre de la France est étroite et les fortes incertitudes politiques des dernières semaines n’ont pas arrangé le tableau d’ensemble. Il ne faut pas oublier non plus que La Commission européenne a ouvert la voie à des procédures « pour déficits publics excessifs » contre sept Etats membres de l’UE incluant la France. On pourrait commencer à parler d’un début de spéculation contre la dette française si le spread OAT-Bund dépassait les 100 points de base, pour l’instant la hausse du spread s’est arrêtée à 85 points de base avant le premier tour des législatives.

Même si la BCE ne se pressera pas d’intervenir en cas de stress obligataire lié à des annonces budgétaires peu sérieuses, il ne faut pas perdre de vue qu’elle a toujours les moyens d’intervenir si elle le souhaite via son bilan.

L’amorce du cycle de baisse des taux directeurs de la BCE peut-il être remis en cause ?

A.B. : La BCE a déjà procédé à une baisse de taux et elle attend probablement quelques annonces du côté de la Fed pour enclencher la deuxième baisse à la rentrée, voire une troisième baisse d’ici la fin d’année. Si le stress politique observé pendant plusieurs semaines commence à entraîner des répercussions sur l’activité économique et l’investissement en Europe, cela sera de nature à accélérer le processus de baisse de taux plutôt que l’inverse, notamment si l’inflation poursuit rapidement sa décrue en raison d’un tassement de la demande lié à une incertitude.

Faut-il craindre aux Etats-Unis un risque de stagflation matérialisé par une résilience de l’inflation et de ralentissement marqué de la croissance ?

A.B. : Nous entrons dans une phase différente pour les Etats-Unis parce-que les chiffres macroéconomiques publiés depuis près de deux mois ressortent la plupart du temps en-dessous des attentes, comme le montre la dégradation de l’indice de surprise économique américain. Ce dernier évolue désormais à -47, c’est-à-dire son plus bas niveau depuis août 2022, en pleine phase de durcissement monétaire de la Fed. Autre repère important, les anticipations de croissance pour le deuxième trimestre calculées par la Fed d’Atlanta : alors que début mai ces anticipations de croissance évoluaient à plus de 4%, elles sont nettement retombées pour s’afficher désormais à…1.5%. En parallèle, il y a enfin eu quelques progrès supplémentaires sur l’inflation PCE « core », la mesure d’inflation très surveillée par la Fed. Après 3 mois consécutifs à 2.8%, l’inflation a ralenti à 2.6%, son plus bas niveau depuis mars 2021. Le scénario de stagflation n’est donc pas le plus probable à ce stade.

La Fed va-t-elle assouplir sa politique monétaire cette année ? Combien de baisses anticipées ?

A.B. : Une baisse de taux cette année semble probable voire éventuellement deux mais comme la Fed le répète régulièrement, cela dépendra uniquement des données économiques, il n’y a pas de plan prédéfini. Le ralentissement des derniers chiffres d’inflation CPI et PCE a renforcé l’hypothèse d’une première baisse de taux en septembre, dans un contexte où le marché de l’emploi s’est déjà bien normalisé par rapport aux tensions post-Covid. La pression sur les salaires n’a pas complètement disparu (+3.9% en variation annuelle pour les derniers chiffres) mais il y a eu des progrès quand on sait qu’on fleurtait avec les 6% de progression des salaires en 2022. Si l’inflation américaine continue de faire des progrès cet été, Jerome Powell pourrait se servir du Symposium de Jackson Hole pour préparer le terrain à une première baisse en septembre.

Les actions américaines ne sont-elles pas devenues trop chères ?

A.B. : Nous sommes très clairement dans une situation de cherté pour les actions américaines, surtout les grandes capitalisations. Une cherté tirée par les valeurs technologiques. Si on prend le SP 500 dans son ensemble, il se paie désormais plus de 21 fois les bénéfices anticipés : au cours des 30 dernières années, nous n’avons franchi cette zone de valorisation qu’à deux reprises : lors de la bulle post-Covid alors que la liquidité était très abondante et que les taux étaient à 0% voire négatifs pour les taux réels. La fois précédente c’était au début des années 2000 avant l’éclatement de la bulle internet. Le ratio cours/bénéfices anticipés du SP500 avait alors atteint 26…Le risque d’une bulle est donc bien réel.

La frénésie autour de la thématique de l’IA et de Nvidia parait-elle justifiée ?

A.B. : L’incroyable croissance des bénéfices de Nvidia pendant plusieurs trimestres consécutifs a montré que les investissements dans le domaine de l’intelligence artificielle n’étaient pas un feu de paille. Nvidia propose une technologie et des services en amont, des solutions qui sont achetées par les grands noms de la tech US pour proposer ensuite aux entreprises et aux particuliers l’intelligence artificielle la plus performante. Les dépenses d’investissement (Capex) des grands groupes tech dans ce domaine sont extrêmement importants…reste désormais à surveiller à quelle vitesse ils parviendront à rentabiliser ces investissements. De façon moins extrême que lors de la bulle internet, il est tout à fait possible que nous observions une période de transition/consolidation de plusieurs trimestres sur les marchés et des multiples de valorisation après cette période d’euphorie.  

Le scrutin présidentiel cet automne aux Etats-Unis peut-il être source de volatilité sur les marchés actions et de taux ?

A.B. : Oui mais il est possible que cette volatilité s’exprime en amont de l’échéance électorale, par exemple sur la question du maintien (ou pas) de la candidature de Joe Biden mais aussi sur le thème de la trajectoire du déficit budgétaire américain. La Fed et le Trésor ont multiplié les déclarations ces derniers mois sur la non-soutenabilité de ces déficits…un thème qui va monter en puissance pendant la campagne et les débats ?

Quels sont les secteurs ou thématiques à jouer au second semestre et ceux à éviter ?A.B. : Alors que la BCE a commencé son cycle de baisse de taux et que la Fed pourrait la rejoindre au second semestre, un petit rattrapage du secteur des foncières cotées pourrait être intéressant à travailler. Un environnement qui pourrait aussi plaire aux petites valeurs (indices de small caps). Le thème « marchés émergents » pourrait aussi être intéressant avec une situation qui s’améliore progressivement en Chine sur le front de l’immobilier et peut-être sur la demande intérieure si les mesures de soutien des autorités se poursuivent. Les banques européennes devraient continuer d’être un thème porteur avec une possible accélération des volumes de crédit aux ménages et aux entreprises au S2. En revanche, les multiples de valorisation élevés atteints sur les larges capitalisations technologiques américaines rendent ce secteur exposé à des corrections sensibles.

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