« Le groupe a été affecté par la crise, mais s’en sort pour l’heure de manière honorable »
A l’occasion de la publication des résultats à douze mois (à fin août) d’un exercice qui en comptera exceptionnellement seize, Jérôme de Metz, le PDG de Groupe Beneteau, nous explique comment le fabricant de voiliers et de bateaux à moteur a traversé le premier confinement, revient sur le plan d’adaptation mis en œuvre, nous livre ses prévisions pour la fin de l’année et 2021, et nous présente les projets du groupe.
Vous venez de publier vos résultats à douze mois (à fin août) sachant que votre exercice en comptera exceptionnellement seize. Pouvez-vous nous les commenter ?
Jérôme de Metz : Notre activité a été freinée par la fermeture de nos usines pendant six semaines. La baisse de 14% de notre chiffre d’affaires sur la période correspond au nombre de jours ouvrés pendant lesquels les unités de production n’ont pas tourné. La productivité s’est également dégradée en raison de l’absentéisme dans les usines dû aux fermetures des écoles. Nous avons aussi repensé les process de production pour respecter les règles sanitaires. Tous ces éléments ont eu un impact sur l’efficience des usines. Mais nous avons réussi néanmoins à sauver la saison estivale. Le repli limité du chiffre d’affaires (qui a atteint 1149,2 millions) démontre aussi que le groupe a plutôt bien absorbé le choc. L’EBITDA, qui s’est élevé à 110,4 millions, ressort à 10% du montant des ventes, ce qui n’est pas si mal. Enfin, notre situation de trésorerie est excédentaire, à 156 millions d’euros, un niveau supérieur à celui de l’an dernier. Le groupe a été affecté par la crise, mais s’en sort pour l’heure de manière honorable.
Comment se présente la fin de l’exercice ?
J. de M. : Le dernier quadrimestre de septembre à décembre ne sera pas bon. Nous anticipons une baisse de 25 à 30% du chiffre d’affaires. Ce repli s’explique par deux phénomènes. La division habitat va connaître une baisse importante des livraisons de mobil-homes, mais qui devrait faire l’objet d’un rattrapage ensuite. Aucune de nos usines n’a été mise en sommeil à part un atelier employant 15 personnes. L’activité des loueurs de bateaux, qui constituent d’importants clients pour les bateaux à voile, est aujourd’hui paralysée par le gel du trafic aérien et l’impossibilité de traverser les frontières. La saison d’hiver ne sera pas bonne. De fait, ils ne sont pas en mesure aujourd’hui de passer des commandes. Le prolongement de l’exercice sera en baisse. Ces tendances seront contrebalancées par le dynamisme de la demande pour les petits bateaux à moteur dont le succès tient au plaisir qu’ils procurent : la ballade, la pêche, le nautisme de proximité. Ce marché enregistre une croissance à deux chiffres. Cet engouement illustre tout l’intérêt pour le Groupe Beneteau d’être présent sur tous les segments de la navigation de plaisance.
La plupart des salons nautiques n’ont pas eu lieu. Comment vous êtes-vous organisé pour présenter vos modèles ? Quelles sont vos prévisions pour 2021 dans ce contexte ?
J. de M. : Le changement de date de clôture avait, notamment, pour motif de nous offrir une meilleure visibilité au moment d’établir notre budget. En fin d’année, les salons ont normalement eu lieu et les concessionnaires ont reçu les commandes. Là, avec leur annulation, le thermomètre est gelé. Nous avons organisé des journées privées pour nos clients, mais elles ne remplacent pas complètement l’apport des salons physiques, qui sont des lieux de rencontres et de conquêtes des clients. Nous avons lancé des outils digitaux de promotion, et organisons du 10 au 12 décembre prochains un salon virtuel. Une initiative que nous pérenniserons. Pour établir nos prévisions, nous nous appuyons sur trois indicateurs : le carnet de commandes, – il n’est pas mauvais, mais son niveau est biaisé, car il comprend de nombreux reports de commandes -, les ventes dans les salons ensuite, et le niveau des stocks des concessionnaires enfin. Or les stocks pour les bateaux utilisés en navigation de proximité sont bas. Ce segment de marché a connu une année exceptionnelle, l’engouement a touché toutes les marques et tous les pays. Le réseau est sain, ce qui laisse entrevoir des commandes.
Nous prévoyons pour 2021 une baisse d’activité en raison de la situation compliquée que traversent les loueurs, mais moins sévère que prévu au plus fort de la crise sanitaire, et pas comparable à 2008, où nos ventes avaient chuté de 40%. Il nous faut encore 1 à 2 mois pour affiner nos prévisions, et pour pouvoir donner une guidance pour 2021.
La crise laissera-t-elle des traces chez vos clients ?
J. de M. : La demande pour le « dayboating » va rester forte dans le temps. Pour plusieurs raisons. Il n’est toujours pas possible de passer les frontières, et le tourisme ne va pas reprendre comme avant. Les gens ont redécouvert leurs pays, et que des plaisirs simples, comme prendre un bateau à moteur pour aller sur l’eau avec des amis, étaient accessibles. D’autre part, l’envie d’une semaine sur un catamaran avec la famille ou des amis n’a pas disparu. Elle correspond aussi à une tendance où l’on privilégie l’usage à la propriété. La demande de multicoques a été dynamique pendant dix ans, elle est perturbée aujourd’hui par les incertitudes entourant le transport aérien, mais cette tendance lourde va revenir.
Les grosses unités à moteur ne retrouveront la même dynamique d’avant la crise qu’une fois les frontières ouvertes. Il s’agit d’un marché de renouvellement, qui connaît un trou d’air. Mais je suis convaincu qu’il va rebondir, l’incertitude résidant dans le timing. Au total, l’année 2021 ne devrait pas être trop mauvaise. Mais la baisse des volumes attendue nous a conduit à prendre des décisions importantes.
Justement, vous avez annoncé un vaste plan de restructuration au mois de juillet. Pouvez-vous nous rappeler ses grandes lignes ? Où en êtes de vous de son exécution ?
J. de M. : Notre plan d’adaptation vise en premier lieu à réduire nos capacités de production, qui sont trop importantes aujourd’hui par rapport aux volumes produits. Il se traduit par le gel indispensable de 5 unités de production en France, aux Etats-Unis et en Slovénie, ainsi que le ralentissement de la production en Italie. Les négociations avec les partenaires sociaux sont en cours en France pour nos sites vendéens. Nous nous sommes engagés à ne procéder à aucun licenciement de main d’œuvre directe en France à la condition que les opérateurs de production acceptent une mobilité interne au sein du département. Le deuxième volet du plan concerne la réduction des coûts de structure. Enfin, dans le cadre du plan stratégique Let’s Go Beyond !, nous avons engagé la rationalisation de nos marques qui vont passer de 12 à 8 et le nombre de modèles proposés de 183 à 128 pour couvrir le même nombre de segments de marché. Cela permet de rationnaliser les investissements produits. L’objectif industriel est, lui, d’optimiser l’efficience des usines en les spécialisant et de raccourcir les temps de développement des nouveaux modèles. Nous sommes dans les temps de passage. Le plan sera bien avancé d’ici à la fin de l’année. Nous en attendons entre 25 et 45 millions d’euros d’allègements des charges en année pleine.
Quels sont vos objectifs financiers à moyen terme ?
J. de M. : Les mesures prises, principalement celles liées à la rationalisation d’une « Maison des Marques » plus cohérente, doivent nous permettre d’améliorer la rentabilité du groupe à moyen terme, une fois que nous aurons retrouvé les volumes de l’an dernier. Nous tablons sur une marge opérationnelle courante de 10% contre 6% avant la crise. Difficile de prédire en revanche le calendrier. Le reconfinement ne devrait pas nous affecter comme ce fut le cas au mois de mars. Nous sommes cette fois-ci prêts et nos usines continuent d’être opérationnelles.
Où en êtes-vous de votre projet de bateau électrique ? Quel est le potentiel de ce marché ?
J. de M. : Les nouvelles mobilités font partie des ambitions de notre plan à moyen terme. Le groupe travaille avec tous les motoristes marins sur la co-conception de systèmes de propulsion électriques et hybrides. Nous voulons participer au « verdissement » de l’industrie, à travers deux sujets notamment. Certains modèles de la gamme emblématique de voiliers, Beneteau Oceanis, seront dotés d’un moteur électrique. La sortie des modèles est prévue pour l’année prochaine. Autre sujet important, la marque Delphia qui va sortir une gamme de bateaux habitables électriques pour les lacs et les rivières. C’est un nouveau marché avec un fort potentiel. Il y a un désir, et pas seulement chez les seniors, de naviguer tranquillement, de prendre le temps de découvrir le paysage, sans bruit et sans gaz d’échappement. Notre ambition est de faire de Delphia un acteur mondial sur ce segment. La commercialisation des bateaux débutera dès 2021 et par l’Europe.
Quels sont vos autres leviers de croissance ?
J. de M. : La part de marché du groupe est faible dans le segment du bateau moteur. C’est dans ce domaine que nous avons la marge de progression la plus évidente. Nous allons procéder à un renouvellement de la gamme des marques américaines Four Winns et Wellcraft. L’offre de Four Winns va s’étoffer de petits catamarans équipés de moteur hors bord et de cabines isolées. Cette combinaison mêlant le confort et la facilité d’accès va offrir une réelle nouveauté aux clients. De nombreux changements en interne ont également eu lieu avec pour objectif de redynamiser la gestion des marques et de mettre en œuvre une nouvelle stratégie commerciale.
Votre titre a presque été divisé par trois depuis son plus haut du début de 2018. Quel message voulez-vous transmettre aux actionnaires ?
J. de M. : Depuis son plus haut de janvier 2018, le titre a été pénalisé par une succession de baisses souvent dues à des « profit warnings ». Le marché a été déçu. Par notre faute, mais aussi par des déconvenues indépendantes de notre volonté. Le plan que nous avons mis en œuvre est solide, il commence à donner des résultats. La Maison des Marques est plus cohérente, la construction d’un groupe plus profitable est en marche. Il nous faut retrouver la confiance des actionnaires individuels et institutionnels. Elle reviendra au fil des mois.
Conseils sur Beneteau
Tous les conseilsBeneteau dans la tempête ?
Comme les autres acteurs des équipements de loisir, ce leader mondial de la plaisance est attaqué en bourse depuis que la dissolution de l’Assemblée nationale a plongé le pays dans la crise politique. Déjà pénalisé par la remontée des coûts de crédit, le groupe risque de faire les frais d’un attentisme des clients sur leur projet d’investissement dans de nouveaux bateaux.
Beneteau surprend positivement
Le marché a salué la performance du dernier exercice de ce plaisancier qui s'est révélée supérieure aux attentes. Attention car l'année en cours sera pénalisée par environnement moins favorable et par le coût élevé de l'argent. Des perspectives qui paraissent intégrées dans la valorisation décotée de la valeur.
Beneteau dans la pétole en 2024
Le titre de ce plaisancier manque de catalyseurs en raison d'une dégradation des perspectives sur les bateaux à moteur de petite taille et la réduction des stocks des distributeurs. Une reprise du marché est espérée en 2025. La valorisation du titre reste malgré tout attractive compte tenu de l'abondante trésorerie nette au bilan de la société.
Beneteau, une belle résilience du titre
Malgré un deuxième trimestre décevant pour la branche plaisance, le groupe confirme ses objectifs de l'année et dispose d'une bonne visibilité à plus long terme sur son carnet de commandes. A 11,5 et 9,6 fois, le titre reste attractif sachant que la trésorerie nette représente à elle-seule 26% de la capitalisation.